dimanche 18 août 2013

Aux Hommes

Evidemment que tous les hommes ne détestent pas les femmes. Mais tous les hommes doivent savoir qu’ils bénéficient du sexisme.

Laurie Penny

Le livre connu sous le nom de Millenium, ou encore « The girl with the dragon tattoo » a pour titre original, dans sa version suédoise ; «Les hommes qui n'aimaient pas les femmes » ; un titre qui va faire mal.



Ces derniers mois, il a été pratiquement impossible d’ouvrir un journal ou d’allumer la télévision (en Angleterre) sans tomber sur une histoire de filles mineures violées, de femmes politiques harcelées, d’une femme transgenre assassinée. Mais alors que des femmes, des filles et des hommes alliés commencent à dénoncer le sexisme et l’injustice, une chose étrange se produit et certaines personnes se plaignent du fait que parler de ces préjudices est en soi un préjudice. 

De nos jours, avant de parler de misogynie, on attend de plus en plus des femmes qu’elles modifient leur langage afin de ne pas heurter les sentiments des hommes. Ne dites pas « les hommes oppriment les femmes » - c’est du sexisme, aussi mauvais que le sexisme que doivent endurer les femmes, peut-être pire. Dites plutôt « certains hommes oppriment les femmes ». Quoi qu’il en soit, ne généralisez pas. Ça c’est ce que font les hommes. Pas tous les hommes, juste quelques hommes…

Ce type de chamailleries sémantiques est un moyen très efficace de réduire les femmes au silence. Après tout, l’essentiel de l’éducation des grandes filles a été d’apprendre à mettre les sentiments des autres en priorité des leurs. Nous ne devons pas dire ce que nous pensons s’il existe la possibilité de blesser quelqu’un, ou pire, de le mettre en colère. Donc nous aménageons ce que nous disons avec des excuses, des mises en garde et des paroles apaisantes.  Nous rassurons nos amis et nos proches sur le fait qu’ « ils ne font pas partie de ces hommes qui détestent les femmes ».

Ce que nous ne disons pas c’est ; bien sûr que tous les hommes ne détestent pas les femmes. Mais puisque notre culture déteste les femmes, les hommes qui grandissent dans cette culture sexiste ont tendance à dire et à faire des choses sexistes, souvent sans s’en rendre compte. Nous ne vous jugeons pas pour ce que vous êtes mais cela ne signifie pas que nous ne vous demandons pas de changer vos comportements. Ce que vous ressentez pour les femmes est moins important dans ce cas-ci que la façon dont vous vous comportez quotidiennement avec elles.

Vous pouvez être l’homme le plus courtois et gentil du monde et quand même profiter du sexisme. C’est comme ça que fonctionne l’oppression. Des centaines de personnes, qui sont en fait des gens biens, se laissent convaincre de perpétrer un système injuste parce que c’est plus peinard comme ça. Lorsque quelqu’un réclame un changement de ce système injuste, la réaction appropriée est d’écouter plutôt que de vous mettre à hurler, comme un enfant, que ce n’est pas votre faute. Et ce n’est pas votre faute. Je suis certaine que vous êtes adorable. Mais ça ne veut pas dire que vous n’avez pas une part de responsabilité dans tout ça.

Sans invoquer des bêtes stéréotypes à propos des capacités « multitâches », nous devrions être d’accord sur le fait que c’est parfaitement possible pour l’esprit humain de gérer plus d’une idée à la fois. Le cerveau est un organe volumineux et complexe, avec la taille d’un horrible choux, et on y trouve bien de la place pour d’innombrables épisodes parmi les pires séries télévisées, ou pour tous les numéros de téléphone des ex-copines que vous n’aviez pas réellement l’intention d’appeler après la sixième vodka. Si vous étiez incapables de gérer de grandes idées structurelles en même temps que des petites pensées personnelles, nous ne serions jamais descendus des arbres pour construire des villes et des complexes cinématographiques. Il ne doit pas être impossible, par conséquent, d'expliquer à l'homme moyen que vous êtes, homme individuel vaquant à ses occupations quotidiennes, que vous pouvez très bien ne pas haïr les femmes et quand même  les blesser en tant qu'homme faisant partie du groupe masculin. Je ne crois pas que la majorité des hommes soient trop bêtes pour comprendre cette distinction, et s’ils le sont, il faut vraiment mettre toutes nos forces pour les empêcher de continuer à gérer un quelconque gouvernement. 

D’une certaine manière, il reste difficile de parler du sexisme aux hommes sans se confronter à un mur défensif qui se transforme vite en hostilité, voire en violence. La colère est une réponse tout à fait appropriée quand on apprend qu’on est impliqué dans un système qui opprime les femmes – mais la solution n’est pas de tourner cette colère contre les femmes. La solution n’est pas de clore le débat en nous accusant de « sexisme inversé », comme si ça allait quelque part équilibrer le problème et vous permettre de ne plus vous sentir mal à l’aise.

Le sexisme doit vous mettre mal à l’aise. C’est douloureux et rageant d’être aussi favorisé par les attaques misogynes et c’est aussi pénible de voir que ça se passe et qu’on est impliqué, même si on ne l’a pas choisi. Vous êtes censés réagir lorsque vous apprenez que le groupe auquel vous appartenez est en train de profiter activement d’êtres humains, de la même manière que vous êtes censés bouger voter jambe quand un médecin tape sur votre genou. Si ça ne bouge pas, c’est que quelque chose cloche sérieusement.


Dire que « tous les hommes sont impliqués dans la culture du sexisme » - tous les hommes, pas seulement quelques hommes – sonne comme une accusation. En réalité, c’est un défi. Vous, homme individuel, avec vos propres rêves et désirs, n’avez pas demandé à naître dans un monde où le fait d’être un garçon vous donne des avantages sociaux et sexuels sur les filles. Vous ne voulez pas vivre dans un monde où les petites filles se font violer pour ensuite s’entendre dire par un tribunal qu’elles l’ont provoqué ; où les femmes sont mal payées et pas payées ; où on les accuse d’être des putes ou des trainées parce qu’elles demandent l’égalité sexuelle. Vous n’avez rien choisi dans tout ça. Mais ce que vous pouvez choisir dès à présent, c’est ce qui se passera ensuite.

En tant qu’homme, vous pouvez choisir de contribuer à construire une monde plus juste pour les femmes – et de fait pour les hommes. Vous pouvez choisir de combattre la misogynie et la violence sexuelle où que vous les rencontriez. Vous pouvez choisir de prendre des risques et de mettre de l’énergie dans la défense des femmes, pour les soutenir, les aider à avancer et les traiter en égales. Vous pouvez choisir de tenir bon et de dire non, et chaque jour, des hommes et des garçons font ce choix. La question c’est ; serez-vous l’un d’eux ?

Source : NewStatesman
traduction pour www.sexismesagauche.blogspot.be - rr2012

lundi 12 août 2013

Maitresse Magpie : A propos de la sexualité, de la gauche et de l’outrage moral

Je reproduis ici le témoignage d’une militante de l’International Socialist Network qui traite de la question des minorités sexuelles et du moralisme dans la gauche révolutionnaire. Bien que je sois partagée sur certains aspects, voire complètement en désaccord avec certains passages (comme la défense de Tommy Sheridan et la déclaration selon laquelle il aurait fallu se contenter de rire de sa situation), ce témoignage a l’avantage de poser certaines questions que ne sont que peu souvent formulées. Notamment sur le poids du moralisme dans les organisations et de son influence sur la situation des femmes en interne.

Malheureusement, ni ce témoignage, ni la réponse qui le suit (rédigé par une autre militante ISN) ne traitent de la façon dont ce moralisme est à deux vitesses. La morale n’est pas la même pour tout le monde et la façon dont les valeurs de « liberté sexuelle »  soixante-huitardes ont bien servi certains militants de gauche pour se dédouaner de toute responsabilité dans leur façon de se relationner avec les femmes. 

source : 

Mistress Magpie : A propos de la sexualité, de la gauche et de l’outrage moral

Cela fait des années que je suis membre de la communauté BDSM et je travaille comme indépendante en tant que dominatrice professionnelle, web designer occasionnelle et consultante en médias. Cela fait également des années que je suis socialiste révolutionnaire. Je suis impliquée depuis que j’ai 16 ans à l’intérieur et hors de la Tendance Socialiste Internationale. Il m’est récemment apparu que je pourrais contribuer de manière utile au débat socialiste sur la sexualité et le féminisme et sur la façon dont les socialistes devraient traiter les questions morales. Ce qui suit n’est pas un document d’analyse ; je ne l’ai absolument pas rédigé avec la rigueur analytique nécessaire. Cela se veut plutôt un début de dialogue à propos du fait que des professionnels du sexe et les socialistes pourraient avantageusement entrer en contact, et c’est pourquoi je vais tenter d’écrire une ébauche de ma pensée.

Cela fait des mois que je réfléchis à écrire ceci ; j’ai suivi l’affaire des accusations de viol dans le SWP et le comportement honteux de son comité central. Je me suis sentie inspirée par la création de l’ISN (International Socialist Network) et j’ai décidé d’y adhérer. Je veux me réengager dans les campagnes contre la guerre, la pauvreté et l'islamophobie qui étaient au centre de mon passé, de ma vie de militante. Je suis également intriguée par le débat ouvert et organique qui a eu lieu sur Facebook et ailleurs en ligne pendant la crise du SWP, et je voudrais voir si je peux contribuer à ce que les nouvelles organisations aillent de l'avant.

Mais comme figure publique de la communauté BDSM et comme professionnelle du sexe, je me dois d’être ouverte et honnête à propos de mon identité et de mes valeurs lorsque je milite. Je suis heureuse de pouvoir œuvrer dans un réseau au sein duquel je peux être une professionnelle du sexe qui veut se battre contre la « bedroom tax » (Une nouvelle taxe sur les loyers des logements sociaux qui pénalise les plus démunis) ou l’expulsion des demandeurs d’asile sans être poussée vers la sortie, ou blâmée ou humiliée. Le socialisme et le féminisme ont bien des choses à m’offrir comme travailleuse du secteur du sexe. Je suis une femme blanche, cultivé et cisgenre dans la trentaine. J’ai travaillé dans des bureaux, dans des cuisines, dans des magasins, et j’ai subi ma part de sexisme sur le lieu de travail. Selon mon expérience, aucun de ces métiers n’est comparable, même de loin, au type de saloperies sexistes que je rencontre tous les jours dans mon métier.


D’une part, les risques du métier offrent d’innombrables opportunités pour me sentir jugée et dégradée par des personnes sexistes. Beaucoup des personnes qui me contactent ne sont pas de réels BDSM ou de véritables fétichistes ; ce sont des personnes qui ont trouvé une filière adulte pour m’utiliser comme la poupée de leurs fantasmes, une version longue des personnages qu’ils voient dans les films porno, et non pas comme une professionnelle expérimentée et sûre. Comme beaucoup de freelance, je dois gérer beaucoup de personnes qui me font perdre mon temps où qui ne se présentent pas. Mais dans le secteur du sexe, c’est encore pire et j’ai souvent du mal à payer mes factures.

De l’autre côté, je me fais choper par le moralisme de la société et de l’Etat qui ne m’offrent que des droits inégaux et un accès limité aux services. Bien que le métier de « dominatrice professionnelle » ne soit pas, en soi, illégale, j’ai toute une série de problèmes spécifiques avec l’Etat. Avant tout, ma sécurité est souvent en cause. La plupart du temps les professionnels du sexe ont des clients gentils et adorables, mais il existe toujours le risque de tomber sur des personnes dangereuses ou instables. Il n’y a pas d’ordre, de syndicat ou de corporation pour fournir un moyen de dépistage, et les clients de leur côté n'ont pas de système universel ou fiable pour évaluer l'innocuité et la qualité du service fourni par les travailleuses du sexe. Souvent, la police se fout de la sécurité des travailleuses du sexe et de leurs clients, et les services médicaux de base, que ce soit le NHS ou la Charité, qui permettent de dépister les maladies, sont ravagés par les coupures de budget.

Ensuite, il y a les vicissitudes de gérer ma propre affaire comme travailleuse du sexe. Je suis soumise à la taxation, mais je dois être prudente avec ce que je demande comme déductions parce que les travailleurs du milieu du sexe sont contrôlés plus souvent. Même si je voulais obtenir un prêt hypothécaire ou louer des locaux pour mettre en place mon cabinet de travail, aucune banque ne me suivrait. C’est difficile pour moi d’avoir accès aux crédits, et lorsque j’essaie de faire connaître mon affaire, je ne peut utiliser que la partie ghettoïsée de sites internet et de revues qui sont gérés de façon malsaine et profitent de la situation des travailleurs-euses du sexe  et de leur vulnérabilité. Je suis catégorisée comme actrice ou animatrice ; je travaille à des heures incroyables et si je suis blessée, il n’y a pas d’assurance pour moi, et si j’essaie d’en contracter une, j’ai toutes mes chances de terminer dans un centre pour l’emploi, déjà massacré par les coupures de budgets, qui sera encore moins sympa que d’habitude. 

Cette marginalisation fait du milieu professionnel du sexe un monde réactionnaire. Il n’y a pas beaucoup de conscience de classe – les travailleurs du sexe sont divisés et entretiennent une compétition féroce entre eux. Malgré tout, il ya aussi beaucoup de travailleurs(euses) du sexe qui ont un esprit communautaire très efficaces et qui mettent en garde les uns et les autres sur les clients dangereux et partagent l'information pour le dépistage, ce qui sécurise chacun(e) d’entre nous. Malheureusement, il n’y a que très peu d’organisations d’aide ou d’agences gouvernementales qui sont là pour soutenir une véritable solidarité et conscience de classe parmi les professionnels du sexe.

Même si je ne travaillais pas dans l’industrie du sexe, j’aurais quand même des ennuis parce que je fais partie d’une minorité sexuelle. L’Etat et le moralisme de la société font que je rencontre des barrières parce que je suis une pratiquante BDSM qui a plusieurs partenaires – les docteurs, la police, les professeurs et les voisins curieux se demandent si je suis une violeuse, ou une violée, ou membre d’une secte, ou une criminelle, ou sujette à des désordres mentaux. Il n’y a pas de loi anti-discrimination pour les minorités sexuelles, et les discriminations peuvent être sévères dans la pratique, en allant des moqueries publiques jusqu’à la perte de son travail ou la garde d’un enfant.

Et encore, je fais partie de celles qui ont eu de la chance, je suis privilégiée en termes de classe et de statut,  j’ai de l’expérience et j’ai pu me renseigner suffisamment pour m’en sortir dans ce nid de crabes médiatiques. Ne serait-ce que lorsqu’il s’agit de faire mes propres photos, textes, sites web et profils. Je suis une dominatrice, ce qui signifie que je n’offre que du BDSM, pas du sexe, donc les risques de maladies sont bien moins importants que pour les « escorts », malgré tout, j’ai quand même le risque de tomber sur des clients instables et dangereux. Je sais parler anglais et je ne suis pas une travailleuse immigrée sans papiers ou une personne prise dans un trafic, et je travaille pour moi. J’aime vraiment mon travail dans lequel je peux partager ma passion BDSM avec d’autres personnes ; c’est en général une expérience pleine de plaisir pour mes clients et pour moi. Mon boulot est aussi sûr qu’il peut l’être, puisque mes clients sont sérieux et que je n’ai ni patron ni « mac ». Je n’ai pas d’enfants, ce qui me met à l’abri de la perspective terrifiante de voir mes enfants tomber dans les mains des services sociaux ou être perturbés par un ex ayant soif de vengeance ou par des voisins curieux. 

Mais ma plus grande chance est d’avoir reçue une formation marxiste. L’analyse socialiste du capitalisme, et les arguments socialistes pour la libération des femmes, m’ont donné un cadre pour affronter le sexisme et le moralisme auquel je suis confrontée en gagnant ma vie. Ils me donnent aussi un modèle pour agir politiquement dans le cadre de ma profession et de mon appartenance à une minorité sexuelle.

Quand j’étais étudiante, j’ai étudié le socialisme révolutionnaire et l’histoire de la pensée marxiste, ainsi que les différentes tentatives de faire une révolution. Je pensais que nous nous battions tous pour une société communiste, une société dans laquelle les relations familiales n’auraient rien à voir avec des relations oppressantes, des clans patriarcaux ou les familles nucléaires. On aurait mis fin aux rôles de genre forcés, à la monogamie forcée et à la suprématie masculine.

Peut-être que j’ai mal lu ou compris le communisme pendant toute ma vie, mais ma compréhension du communisme a toujours inclus l’égalité pour tous et toutes, et la possibilité pour chacun et chacune de nous dans un monde de l’après-austérité de créer librement de façon illimitée. J'ai toujours imaginé qu'il y aurait de la place pour des modes de vie alternatifs dans une société communiste, et depuis de nombreuses années, j'ai développé ces deux intérêts en parallèle.

Alors imaginez mon sentiment de colère et de trahison lorsque j’ai vu la tragique désintégration du Scottish Socialist Party sur base d’accusations affirmant que leur leader, Tommy Sheridan, fréquentait des sex-clubs. Le traitement de l’affaire par la presse à scandale a été dégoutant mais compréhensible puisque ce sont des ennemis affichés de la classe ouvrière. Les réactions de nombreuses personnes à l’intérieur du parti, qui utilisaient des arguments soi-disant féministes pour mener des attaques morales contre Tommy en interne, m’ont brisé le cœur. Plus encore, j’étais contente lorsque le SWP l’a soutenu, mais j’ai toujours compris que Tommy, quoi qu’il ait fait ou pas, était certainement traité par moralisme comme si le fait d’aller dans des sex-clubs était quelque chose dont il aurait du avoir honte[i].

Dans le débat très animé de l’époque, je n’ai jamais abordé ce point. Comme Tommy, j’avais internalisé la honte à propos du sexe qui transpire de toute la politique socialiste. Il y avait beaucoup de grandes théories à propos de la libération sexuelle, mais, en pratique, les socialistes parlaient avec les mêmes priorités morales que les voix les moins progressistes de notre société. Comme cela a été largement discuté, la récente crise du SWP n’était que la pointe de l’iceberg.

Dans les syndicats, les collectifs militants et dans les partis révolutionnaires eux-mêmes, des jeunes femmes ont été condamnées comme étant des provocatrices lorsque des « hommes connus » les avaient harcelées ou même violées. Les punitions pour ces viols sont minimes, voire inexistantes, et les survivantes des viols et des abus sont souvent marginalisées ou exclues. Au fur et à mesure que s’est accru mon intérêt pour le « kink » (ndt : la domination féminine BDSM), j’ai décidé de quitter la politique. J’aimerais dire que c’était un geste courageux de boycott, mais c’était une décision basée sur la honte ; je ne voulais pas jeter du discrédit sur mes amis et camarades ou détourner leur attention des causes essentielles de ce moment-là.

Il y avait quelques raisons derrière mon auto-exclusion ; l’acceptation générale du moralisme capitaliste avait rendu les groupes de gauche et des dirigeants locaux particulièrement vulnérables au scandales et tracasseries basées sur le sexe. Après chaque révélation de scandale sexuel, les groupes de gauche avaient une opportunité de reconsidérer leur approche de la morale sexuelle. Malheureusement, la réponse était généralement de répéter les inlassables déclarations sur les droits des femmes, et de renforcer les aspects de moralisme sous prétexte de les protéger lors des réunions et dans leurs fonctions, plutôt que de faire une révision conceptuelle approfondie, qui est nécessaire. Cette politique moraliste sur le désir – en particulier sur le désir des femmes – et l’étouffement du débat sur la diversité sexuelle, ont créé un silence unanime à propos du sexe.

Le moralisme exclut plus que les femmes dans mon genre. Si la culture de nos groupes et partis a évincé le débat à propos de la sexualité, notre silence signifie que nous avons aussi accepté dans cette sphère les valeurs de la société dans son ensemble. Ces valeurs sont bien entendu habilement renforcées par le monde capitaliste qui nous entoure. Peu importe combien de livre de Rosa Luxembourg nous pouvons vendre, ce silence signifie que nous avons intégré dans tous les secteurs de la vie du parti les discriminations qui se développent à l’extérieur, à propos des questions sexuelles. On peut dire au minimum que les groupes privilégiés dans le monde capitaliste (hommes, hétérosexuels, cisgenre, monogame, blancs) ont le même niveau de privilège dans les partis révolutionnaires qu’en dehors de ceux-ci, et que les groupes non-privilégiés y sont désavantagés de manière égale. Dans les faits, cela signifie que nous perdons, ou ne recrutons jamais, des militants venant de ces groupes non-privilégiés.

Cette perte est une honte et prive nos rangs de personnes qui ont du potentiel. Cela peut avoir du sens, en quelque sorte, si un Tory (un membre du parti conservateur, NdT), ou un politicien travailliste est déshonoré après qu’une affaire de fétichisme ait été révélée ; même si la classe dominante se dédouane régulièrement des limites morales, ceux deux partis se présentent quand même publiquement comme les défenseurs des « valeurs traditionnelles britanniques ». Nous, révolutionnaires, ne devrions pas réfléchir avec ces jugements, et lorsqu’un journal annonce que l’un de nous s’est rendu dans un sex-club, nous devrions rire, hausser les épaules et préparer une campagne.

Les révolutionnaires devraient aussi consacrer du temps à une réflexion sur le moralisme à propos du sexe. Le langage et le symbolisme qui est utilisé dans le femdom, le fétichisme et les échangistes, peut être extrêmement incorrect politiquement. Bien entendu, pas mal de thèmes et d’images que l’on retrouve dans les fantaisies sexuelles font écho à la dégradation, à la force, ou renforce les stéréotypes de genre (même si parfois il les inverse). Oui, la racine de notre désir est parfois plantée dans le sol de l’oppression et de l’injustice. Mais c’est également là que se trouvent les racines du mariage, de la propriété, de l’utilisation d’une voiture, du choix des chaussures à talon, toutes choses qui sont communes à des révolutionnaires. Les révolutionnaires sont censés mettre leur énergie dans un changement de système  et non pas à essayer de changer les styles de vie individuels. Nous marchons côte à côté lors des manifestations, qu’on soit musulman pratiquant ou anarchiste, et nous respectons les droits de chacun à une vie privée, tant que les droits de tous sont respectés.


Les progressistes qui s’essaient au femdom ou au fétichisme se sentent parfois horrifiés de ce en quoi ils peuvent se transformer. Si vous faite partie de ces personnes, je peux vous offrir l’expérience qui me vient de mes années de mal au ventre et d’inquiétude et essayer de vous les épargner : vos désirs sexuels et vos besoins ne traduisent pas votre politique, et certainement pas d’une manière crue et indirecte. Vous pouvez être le révolutionnaire le plus efficace, instruit et dévoué du monde, et avoir déjà eu l’idée de dominer une autre personne, ou d’être dominé. Vous pouvez même avoir un fantasme de viol violent ou d’être humilié ou insulté ; lorsque cela se passe dans un contexte  de consentement discuté et volontaire, c’est parfaitement acceptable. Aucune de ces choses, en soi, ne devrait vous détourner plus de votre auto-évaluation philosophique que si vous adoriez un certain type de musique ou les films de gangsters.

Comme révolutionnaires, nous défendons d’une seule voix le droit d’une femme à porter le voile (ndt : dans le contexte belge et français, cette affirmation est fausse ; voire l’incroyable débat sur la candidature de Ihlam Moussaid au NPA), et celui d’une adolescente à être vaccinée contre les maladies vénériennes.  Nous devrions aussi défendre notre diversité sexuelle et nous former à cette politique. Ainsi instruits, nous aurons l'occasion de nous soutenir mutuellement et de promouvoir une culture où les gens se sentiront libres de poursuivre leurs désirs, en gardant l'éthique et les valeurs progressistes à l'esprit.

Quand on s’engage sur la voie du moralisme, on commence à avoir des jugements de valeurs à propos des autres en nous basant sur des valeurs érigées comme telles par nos oppresseurs. Ces valeurs créent le silence autour des questions sexuelles dans nos familles et nos communautés. Ce silence est complice du marché, qui offre de nombreuses options pour les personnes isolées. Certaines de ces options sont éthiques et impliquent des personnes librement consentantes ; d’autres ne le sont pas. Lorsqu’on laisse tomber le moralisme, lorsqu’on laisse tomber le silence et qu’on a la capacité de parler ouvertement des désirs sexuels, nous créons non seulement un espace sécurisant dans lequel les révolutionnaires peuvent parler du désir, mais aussi une possibilité stable d’aborder et d’explorer nos désirs d’une façon éthique et progressiste. Si les groupes révolutionnaires abandonnent le moralisme, ceux de nos membres qui le souhaitent auront plus facilement des possibilités éthiques d’explorer leurs désirs, comme des sex-club libres et sécurisés. Une professionnelle du sexe, pourra travailler de manière indépendante et en sécurité, plutôt que d’affronter des affaires risquées, des choix insensés, des travailleuses du sexe victimes de trafics ou à des clubs de strip ou de massages basés sur l’exploitation.

Il est important d’avoir également une approche nuancée envers les professionnels du sexe dans nos engagements politiques avec eux (et elles). Je suis une travailleuse professionnelle du sexe qui aime son métier, mais je suis bien assez consciente des milliers de femmes, enfants et hommes qui travaillent dans le sexe contre leur volonté, tenus par la force ou par la pauvreté. Combattre pour la décriminalisation du secteur du sexe et abandonner les jugements moraux seraient un premier bon pas pour amener des idées socialistes aux travailleurs du sexe et mettre fin au trafic. Bien qu’il soit improbable qu’un grand syndicat accepte des travailleurs du sexe, s’adresser aux groupes qui travaillent sur la sécurité ou aux auteurs de sites web qui diffusent des informations sur la sécurité de ces travailleurs, pourrait être un premier pas utile pour intéresser ces travailleurs à s’organiser en syndicats.

Je suis contente de rejoindre ce réseau (http://internationalsocialistnetwork.org/), fort de l’optimisme qu’on pourra enfin avoir une organisation dans laquelle il y aura un espace pour que moi, ou d’autres personnes appartenant à une minorité sexuelle, ou pour des travailleurs du sexe – un espace au sein duquel mon expérience ne sera pas seulement acceptée et considérée, mais qui pourra aussi contribuer à créer un dialogue. Je suis à la recherche de ce dialogue, et je veux aider à développer une compréhension socialiste de la diversité sexuelle.







[i] L’affaire de Tommy Sheridan est plus complexe qu’une cabale pour de mauvaises raisons morales. Membre du Parti Socialiste Ecossais, il fut, en 1999, l'élu des quartiers populaires de Glasgow.
La crise a commencé lorsqu’un tabloïd a révélé que Tommy Sheridan fréquentait des bars échangistes. Celui-ci a décidé de faire un procès à ce journal, alors que la direction du SSP lui a demandé de ne pas le faire et aurait demandé à des dirigeants du SSP appelés à témoigner lors du procès de faire des faux témoignages. Ils ont refusé et ont été par conséquent qualifiés de traîtres par beaucoup de monde.
Sexisme, féminisme et gauche ne partage pas la défense que l’auteur fait de Sheridan, mais sans exercer de censure. 


Toni M. Une réponse à Mistress Magpie – Sur la sexualité, la gauche et mon outrage moral très spécifique

On devrait accueillir favorablement l’article de Mistress Magpie et s’en réjouir, dans la gauche en général et dans l’ISN en particulier. Le voyage qui a amené ceux qui ont quitté le SWP là où ils sont a été long et pénible, et un enjeu important à été l’affrontement avec l’orthodoxie de notre ancien parti à propos du genre, du socialisme et de la sexualité des femmes. Pendant trop longtemps, les socialistes révolutionnaires ont vacillé entre le parti puritain léniniste et l’apologie de la violence sexuelle. La précieuse et pertinente contribution de Mistress Magpie donne au réseau IS l’opportunité de voir la réalité matérielle d’une forme particulière de travail dans le secteur du sexe. Les révolutionnaires socialistes ont trop souvent fait des déclarations sur base d’une compréhension par trop limitées de ces conditions matérielles.

La description qu’elle fait du sexisme qu’elle vit comme travailleuse du sexe dans la communauté BDSM et l’exposé de ses conditions de sécurité sont très convaincants. C’est difficile pour quelqu’un qui n’est pas une professionnelle du sexe d’imaginer comment une forme de travail qui implique des transactions ou des actes sexuels pourrait éviter d’être oppressive pour les femmes impliquées. Mais ça ne peut pas être difficile pour des socialistes révolutionnaires d’écouter une femme lorsqu’elle explique son expérimentation de l’oppression. Nous devons absolument soutenir les tentatives de tous les travailleurs qui veulent s’organiser et construire une solidarité dans leur profession, des difficultés que Mistress Magpie commence à aborder.

Mais cela ne veux pas non plus dire que ceux qui font partie d’une minorité sexuelle sont opprimés de la même manière que les femmes, les homosexuels et les personnes trans-genre, et je ne pense pas que c’est ce qu’elle voulait dire. Ces oppressions ont un contexte historique qui leur est propre et qui est répandu partout.

Il y a eu des autres tentatives d’analyser l’industrie du sexe, et elles ont toutes échoué, selon moi, pour une raison principale : c’étaient des tentatives d’analyse holistiques (qui s'intéresse à son objet comme constituant un tout), ce qui était ridicule.

Il peut y avoir des thèmes communs aux différentes facettes de l’industrie du sexe. Par exemple, les travailleurs et travailleuses du sexe sont toujours plus sujets à des risques de violence dans le cadre de leur travail et ils – elles effectuent tou(te)s des transactions basées sur la sexualité. 

Mais il y a aussi des différences notables. Ils font peut-être partie d’un même phénomène, mais ce sont des métiers différents. Une travailleuse du sexe peut être une femme victime d’un trafic qui est forcée à vendre du sexe dans un bordel – ce qui revient à de l’esclavage et du viol.

Une travailleuse peut vendre du sexe dans la rue pour pouvoir payer de la drogue ou simplement des factures. Rosie W. explique que le consentement doit être un « oui, enthousiaste et librement exprimé ». Sur cette base, quand une femme sent qu’elle ne peut pas dire non, parce qu’elle a besoin d’argent, ce n’est pas du consentement, c’est du viol. 
Je me rends bien compte que les pratiques d’une travailleuse du sexe qui est indépendante et qui travaille dans un contexte sécurisé, sont différentes par bien des points de la réalité d’une femme accro à la drogue ou réduite à l’esclavage dans un bordel, et je m’en remets à l’expérience de M.M.

Mais je n’accepte pas que l’ouverture à propos de la sexualité serve à encourager les hommes qui achètent du sexe. Vouloir une relation sexuelle avec une femme qui n’a pas le choix, c’est du viol et c’est une expression violente de pouvoir sexuel, c’est une motivation bien différente de celle que M.M. prête à ses clients.

L’industrie du sexe s’étend bien entendu au-delà des clubs de strip, du burlesque et du BDSM, et elle varie largement selon l’établissement et selon la situation des travailleuses. Ce qui est clair, c'est que ce n'est pas le rôle des révolutionnaires de prendre ces femmes par la main pour tenter de leur «expliquer patiemment" l’oppression qu’elles vivent d'une manière réductionniste, sans chercher à comprendre les circonstances matérielles dans lesquelles elles vivent. Le rôle des révolutionnaires est de les soutenir quand elles essaient de s’organiser contre la persécution de l’Etat.

Ma remise en question concerne l’analyse de Mistresse Magpie selon laquelle l’oppression subie comme travailleuses du sexe BDSM serait le résultat du statut de minorité sexuelle, plutôt que celui qui découle de la situation d’une femme qui vend du sexe ou de la sexualité.
Je veux bien qu’on parle de cas comme « Opération Spanner », où un groupe d’homosexuels furent condamnés pour avoir pratiqué du sadomasochisme de manière consensuelle, mais je tiens aussi compte du fait que des cas similaires de blessures physiques impliquent des couples hétérosexuels et que les mêmes pratiques chez les partenaires de même sexe sont plus facilement pointées et punies.  

Je me demande aussi si le fait qu’on enlève la garde des enfants aux travailleuses du sexe est le résultat d’une discrimination contre leur statut de minorité sexuelle. En fait, je dirais même que je suis en désaccord.

La décision d’enlever des enfants à une famille revient au tribunal, et se base sur un ensemble de preuves amenées par les assistants sociaux qui indiquent que l’enfant court le risque d’être blessé ou traumatisé de manière significative. On peut trouver beaucoup de raisons qui indiquent qu’un enfant risque d’être blessé ou traumatisé en vivant avec une professionnelle du sexe, tout comme on peut trouver beaucoup de raisons qui indiquent qu’un enfant risque d’être blessé ou traumatisé ? en vivant avec une non-professionnelle du sexe. Peut-être que la transaction sexuelle a lieu dans la maison, ce qui augmente le risque d’exposer l’enfant à des violences. Peut-être que la transaction sexuelle a lieu en dehors de la maison et que l’enfant est laissé seul. Si des adultes consentants ont une relation sexuelle dans un espace privé, les services sociaux ne sont pas habilités à s’y intéresser.

Les assistants sociaux exercent une profession qui est radicale en soi, et ils s'engagent à « tenir compte de l'impact de l'inégalité, des désavantages et de la discrimination sur les personnes qui font appel aux services sociaux» et à «être conscients de l'impact de leurs propres valeurs dans la pratique de leur mission avec différents groupes d'usagers et de patients". Les assistants sociaux ne s’engagent pas seulement à ne pas discriminer, mais ils affrontent la discrimination là où ils la constatent. Je suis certaine qu’il y a des exceptions, mais la profession n’est pas là pour moraliser ou arracher des enfants, et ce mythe est une notion réactionnaire.

Ce avec quoi je suis par contre d’accord dans la déclaration de M.M., c’est sa vision du communisme ; une société correctement organisée devrait mettre fin à la suprématie masculine et aux rôles de genre tels que nous les connaissons. Je ne sais pas si cela signifie la fin de la monogamie, mais cela signifierait certainement de ne plus limiter la perspective sexuelle à cela, et que si les gens ne veulent pas être monogames, qu’il n’y ait pas de problèmes avec ça.

Mais ma vision du communisme inclut également la fin de l’industrie du sexe. Si dans une société communiste, les femmes doivent être libres, comment serait-il possible que leurs corps, leur sexualité, leurs caresses, soient à vendre ?

Les styles de vie alternatifs se réaliseront sous le communisme, et les relations sexuelles seront transformées comme tout le reste. Nous ne devons pas essayer de changer les styles de vie individuels. Pourquoi le ferions-nous ? La relation sexuelle entre deux adultes consentants ne regarde qu’eux et les révolutionnaires doivent se limiter à soutenir ceux qui doivent défendre leur style de vie contre l’Etat et les médias.

Mais je suis tout de même intriguée par l’analyse du moralisme que fait Mistress Magpie. Un moralisme qu’elle décrit comme un ensemble de jugements de valeurs désignés par l’oppresseur. Que se passe-t-il si plusieurs valeurs sont en cause ? Qu’en est-il du jugement des féministes contre l’homme qui va acheter du sexe dans un bordel ? Est-ce du moralisme ? Si c’est le cas ; le moralisme est-il toujours inacceptable ? Je défendrai toutes les travailleuses du sexe, de quelque discipline que ce soit, contre tout jugement – mais je juge les hommes qui paient pour du sexe.


Je pense que nous devons aussi être prudents dans la dénégation de la monogamie comme si elle était oppressive et restrictive, et dans la défense des femdom et des sexualités alternatives comme si elles étaient libératrices ou aventureuses. La réalité est que les comportements d’oppression et le viol existent dans les deux cas. Nous ne pouvons pas approuver la mise en opposition du second comme déviant et du premier comme étant moraliste, alors que l’opposition doit être faite contre l’exploitation. 


pour suivre le débat sur International Socialist Network : http://internationalsocialistnetwork.org
Traduction pour http://sexismeagauche.blogspot.be : rebelderosa2012

vendredi 9 août 2013

Du sexisme d'une certaine gauche


Ce texte est un coup de gueule contre la tolérance de militants et militantes de gauche envers le sexisme, qui est malheureusement présent au sein de la gauche politique. Je me servirai d’exemples tirés de mon expérience de militante pour illustrer mon propos. Je ne nommerai personne; je n’ai donc pas l’intention de me censurer.

Un type de comportement machiste auquel j’ai été confrontée en réunion est un comportement d’intimidation, utilisé par des militants pour remettre "à leur place" des camarades féminines lorsqu’elles osent s’opposer à leurs idées et opinions. Que ce soit en élevant la voix ou bien en bien en s’emportant (ou les deux à la fois), ces agissements ont pour but d’intimider les militantes, afin qu’elles la ferment. Ce terme peut paraître exagéré; mais j’ai bel et bien vécu cette situation, lors d’une réunion, alors que c’était la première fois que je m’opposais à un militant qui jouait le rôle de chef du comité dont je faisais partie. Ce militant ne semblait pas tolérer le fait que je ne faisais pas la gentille brebis comme les autres personnes du groupe. Il ne semblait pas comprendre pourquoi ses tactiques de manipulation ne fonctionnaient plus. C’est avec le recul que j’ai pu comprendre pourquoi il avait une mauvaise réputation, en ce qui à trait à son comportement avec les filles. Ses agissements ont pu avoir lieu parce que les autres membres (autant les gars que les filles) n’ont pas réagi. Accord implicite ou crainte de subir le même traitement ? Je ne le saurais jamais. Mais peut-être que pour ces personnes, ce type d’agissement purement sexiste (voire misogyne) est tout à fait normal. Tout en se disant progressistes…



Pourquoi cela est-il toléré au sein de la gauche ? Je ne le sais pas. Ce texte pourrait être beaucoup plus long, car ce ne sont pas les exemples de machisme et de sexisme qui manquent. Le fait de se dire féministe ne suffit pas pour se prétendre blanc comme neige, en ce qui à trait aux comportements et aux propos sexistes. Le cœur me lève lorsque j’entends dire que le militant dont j’ai fait mention dans le deuxième paragraphe est correct, car il revient d’un long voyage dans l’Ouest canadien. Comme si le fait de voir du pays pouvait régler un problème de comportement macho et patriarcal ! Et par le même fait, soigner mes blessures instantanément !

J’ignore quelles seront les réactions à ce texte. Si je peux réussir à brasser la cage à certaines personnes du milieu militant dont je fais partie, tant mieux. Si au contraire, elles le prennent mal, tant pis. Car la dénonciation des conséquences du patriarcat ne se fait pas dans le silence.

jeudi 1 août 2013

Au-delà des doubles standards : vers une véritable politique de libération des femmes

La  délicate question du lien inextricable entre la lutte de classe et la prise en compte des oppressions de sexe, d'orientation sexuelle et de race est traitée avec intelligence et compréhension par Cinzia Arruzza dans son livre "DANGEROUS LIAISONS -The marriages and divorces of Marxism and Feminism". 

Cinzia Arruzza 
Il y a quelques mois, j’ai vu dans le métro de New York une affiche incroyable : la photo d’un bébé de couleur pleurant accompagné d’une phrase disant "Est-ce que tu as un bon travail ? Je coûte des milliers de dollars chaque année". Alors que je me remettais à peine du choc, je vis une affiche semblable représentant une petite fille noire disant : « Honnêtement maman ... il y a des chances qu’il ne reste pas avec toi. Qu’est-ce qui va m’arriver ? »
Ces deux affiches font partie d’une campagne de prévention des grossesses adolescentes organisée par l’administration des ressources humaines du service social de la ville de New York. Cette campagne d’affichage est un exemple parfait de la manière dont les inégalités de classe, de race et de genre peuvent être couvertes et validées par un discours libéral. Le premier message qu’envoie cette campagne est qu’il faut avant tout avoir de l’argent pour pouvoir avoir des enfants : si vous êtes pauvre et mettez quand même un enfant au monde, vous êtes responsable du fait qu’il sera malheureux, pauvre et socialement raté. Deuxièmement, ces affiches ne mentionnent ni les services sociaux, ni le droit à l’avortement ; toute la problématique des grossesses adolescentes est réduite à une question de choix individuel dans lequel ce sont uniquement les filles qui sont considérées comme responsables de leur comportement sexuel. A quoi s’ajoute aussi un avertissement courtois des autorités ; terminez vos études, trouvez un boulot et mariez-vous avant de penser à avoir un enfant. Enfin, le choix évident d’utiliser des enfants de couleur pour cette campagne suggère que le message de celle-ci est fondamentalement raciste.
 

Cette campagne est symptomatique de ce que nous appellerons la « politique des doubles standards » en ce qui concerne les questions sexuelles et de genre. La substance des droits qui sont accordés aux femmes et aux LGBTQ varie énormément selon leur classe, leur ethnie, et même leur zone de résidence dans un espace urbain profondément divisé selon des lignes de « races » et de classes. L’Etat de New York reconnait les mariages entre personnes du même sexe depuis le mois de juillet 2011. En juin 2013, le gouverneur Andrew Cuomo a annoncé une série de mesures en faveur de l’égalité pour les femmes qui devraient leur permettre d’obtenir l’égalité des salaires, de stopper le harcèlement sexuel, de prévenir les discriminations sur les lieux de travail dues aux grossesses, de renforcer les lois contre la traite d’être humains et d’assurer la protection des victimes de violence domestiques, et, enfin, d’en finir avec les discriminations fondées sur l’origine familiale et pour protéger le droit au choix des femmes. Comment peut-on expliquer la coexistence entre une telle législation pour l’égalité et cette honteuse campagne d’affichage raciste dans le métro ?
Cette situation de « double standard » est la conséquence du fait qu’on a garanti aux femmes et aux personnes LGBTQ des droits formels, mais sans qu’il existe de réelles ressources pour concrétiser cette égalité. L’adoption de politiques anti-harcèlement, de quotas, de politiques anti-discriminations, de la légalisation du mariage gay, etc. ont ouvert le champ des possibles pour l’émancipation - au moins partielle - des femmes et des personnes LGBTQ. Cependant, ces politiques n’ont pas été accompagnées de changements dans les relations sur les lieux de travail, ni de programmes de garde d’enfants appropriés, ni d’aucune intervention décisive visant à accorder des droits sociaux plus importants.
On a vu émerger, ces dernières décennies, une culture gay dominante venant de la classe moyenne. Cette sous-culture a contribué à la consolidation d’une identité gay axée autour de la consommation et de la marchandisation. Celle-ci va de pair avec une augmentation de la mise en scène de « l’être gay commercial ». La reconnaissance des droits des gays s’est développée en même temps qu’un consumérisme qui requiert au moins le salaire d’un travailleur de la classe moyenne. Qui plus est, le haut degré de conformisme de genre de ces communautés gays de la classe moyenne a facilité leur intégration dans un ordre sexuel et social néolibéral. Pendant ce temps-là, des millions de LGBTQ qui ont un bas revenu dans des pays capitalistes développés se voient refuser l’accès à ces modes de consommation et à la sécurité, ainsi qu’à la reconnaissance symbolique de leur situation.
L’actuelle crise économique est en train d’empirer cette situation de double standards. Le démantèlement de l’Etat-Providence et les coupes dans les dépenses sociales sont en train de remettre un important fardeau sur les épaules des femmes. En effet, ce sont à nouveau elles qui assurent une grande partie des soins aux personnes. Là où les femmes de la classe moyenne pourront s’offrir une liberté et une carrière en payant quelqu’un d’autre pour assurer les tâches familiales et domestiques, les femmes de la classe ouvrière se retrouvent dans une situation de double journée de travail. D’un côté elles seront forcées à travailler, puisque l’époque des charges familiales qui étaient assurées par un seul salaire (généralement celui du mari) est belle et bien révolue. D’un autre côté, elles doivent toujours prendre soin des enfants, des plus âgés et des malades, et ce à cause de l’absence ou de la faiblesse de services d’assistance et à cause de la persistance de la répartition genrée des rôles familiaux.
Les récentes attaques aux droits reproductifs auxquelles on a assisté dernièrement dans une série de pays, des Etats-Unis à l’Italie, ont également des effets différents sur les personnes selon leur classe sociale. Les femmes de la classe ouvrière n’ont pas les moyens d’aller à l’étranger et de payer le prix des cliniques privées qui pratiquent l’avortement. Nous nous trouvons maintenant face à une situation où tant la naissance que l’avortement deviennent des privilèges et non des droits.

Capitalisme et oppression de genre

Ce double standard remet en cause de manière conséquente l’idée prédominante de ces dernières années selon laquelle l’émancipation des femmes serait une des conséquences positives du capitalisme. En effet, la « féminisation » du marché du travail, qui a notamment résulté de l’utilisation massive de la main d’oeuvre féminine dans le Sud, a été accueillie comme une opportunité pour transformer les rôles des genres et pour modifier les relations familiales. Maintenant, dans ces mêmes pays, la mode est à « dé-féminiser » le marché du travail. Dès que le capitalisme se développe et que les secteurs de productions intensives grandissent, les femmes sont à nouveau expulsées de la force de travail. Qui plus est, le travail des femmes est caractérisé par le fait que la plupart d’entre elles sont engagées dans les secteurs de production intensive. Là où les salaires sont moindres et où les conditions de travail sont pires, le roulement (turn-over) est plus important. Les femmes continuent à assurer un rôle d’armée de « réserve » de l’industrie : on les engage de manière cyclique et ensuite on les expulse à nouveau du marché du travail.
A cela s’ajoute la stricte séparation que crée le capitalisme entre les sphères publiques et privées, et entre les marchés et les familles, ainsi que la manière dont le travail domestique féminin a été historiquement dévalué, avec pour résultat la déconsidération des femmes elles-mêmes. Cela colle parfaitement avec le besoin qu’a le capitalisme d’une classe ouvrière hiérarchisée et divisée : l’oppression de genre et le racisme se traduisent ainsi en une division sexuelle et raciale du travail, dans laquelle les femmes et les personnes déterminées par leur « race » sont au bas d’une hiérarchie et sont sujets aux pires conditions de travail.
En allant plus loin, il est clair qu’en temps de crise, lorsqu’il y a des coupes dans les dépenses sociales et qu’on démantèle l’Etat-Providence, l’Etat compte sur le travail des femmes pour compenser l’absence de services sociaux et assurer la plus grande partie des soins nécessaires à la reproduction de la force de travail. La hiérarchisation familiale et les relations genrées jouent un rôle idéologique et politique, en faisant paraître « naturelles » les inégalités les plus profondes et en contribuant à la reproduction des rapports capitalistes et de la société dans son ensemble.
Bien que les femmes aient obtenues des droits formels sans précédents pendant l’ère capitaliste, ceux-ci étaient dus au combat des femmes, ainsi qu’à celui des travailleuses et des travailleurs, plutôt qu’à une génération spontanée de lois et de mesures capitalistes. C’est la raison pour laquelle les droits des femmes, comme les droits reproductifs par exemple, ne sont jamais réellement garantis de manière définitive. Et c’est la raison pour laquelle en l’absence de luttes sociales, les droits qui garantissent formellement l’égalité sont souvent entièrement liés aux transformations des conditions matérielles des femmes.

Politiques identitaires et néolibéralisme

Il est surprenant de constater, à l’ère du néolibéralisme, une appropriation pro-capitaliste, voire franchement de droite, des slogans et du langage du mouvement de libération des femmes et des gays. Cela fait quelques années que des chercheurs utilisent les catégories de « Fémonationalisme » et d’ « Homonationalisme » pour décrire ce processus dans lequel le langage des mouvements de libérations féministe et Queer est utilisé pour soutenir les politiques nationales et impérialistes.
Le Fémonationalisme se reconnait lorsqu’un langage pseudo-féministe est utilisé pour soutenir des politiques islamophobes et des guerres impérialistes. La guerre en Afghanistan, par exemple, a été encensée par ses défenseurs qui la présentaient comme une mission de civilisation et de libération en faveur des droits des femmes afghanes. La « Loi sur le voile » adoptée France en 2004 interdisant le port du voile islamique ou de tout signe d’appartenance religieuse dans les écoles publiques s’est appuyée autant sur la laïcité que sur les droits des femmes afin de masquer son but discriminatoire et islamophobe.
L’Homonationalisme implique l’utilisation croissante des slogans de libération gay afin de justifier des politiques contre l’immigration et islamophobes. En 2010, Judith Butler a refusé le « Berlin Civil Courage Prize » en signe de protestation contre la codification grandissante de la Gay Pride et sa complicité avec le racisme. Elle s’est expliquée ainsi : « Certains des organisateurs font des déclarations explicitement racistes ou ne s’en désolidarisent pas… Nous avons tous pu remarquer que les gays, les bi, les lesbiennes, les trans et les queers peuvent être instrumentalisés par ceux qui veulent justifier des guerres, entre autre la guerre contre les migrants (et de fait l’islamophobie) ou encore les guerres en Irak ou en Afghanistan. Par les temps qui courent, on nous recrute au nom du nationalisme et du militarisme. Actuellement, plusieurs gouvernements européens clament que nos droits de gays, queer, lesbiennes, doivent être protégés et on nous fait croire que les attaques aux migrants sont nécessaires pour nous protéger. Alors nous devons dire non à ce genre de deal. ».
Un des cas les plus flagrants de cooptation des LGBTQ par les ultra-droitiers et les nationalistes est le « pinkwashing » d’Israel. Les droits des gays y sont instrumentalisés pour défendre l’occupation des terres palestiniennes en se basant sur l’idée que Israël serait un pays civilisé et de liberté, en contraste avec les pays arabes, arriérés et homophobes.

Des politiques identitaires aux politiques sociales

Ces quinze dernières années, de plus en plus d’intellectuels et de militants se sont mis à critiquer la séparation entre les politiques de classe et de genre qui élude l’analyse du capitalisme. Les courants théoriques sur l’oppression croisée, la théorie de la reproduction sociale et le marxisme queer, insistent sur le fait qu’il faut tenir compte de la dimension de classe dans les questions de genre et de sexualité. Les perspectives de genre et d’orientation sexuelle qui ne tiennent pas compte de cette dimension tombent facilement dans le piège de la cooptation conservatrice et néolibérale. La crise économique que nous sommes en train de vivre, avec ses effets sur les conditions de vie des femmes, est en train d’accélérer ce phénomène. Il reste beaucoup de travail à faire pour promouvoir une approche non-réductionniste et non-déterministe du lien entre les oppressions sexuelles ou de genre et la dynamique d’accumulation capitaliste.
D’un point de vue politique, le divorce qui a eu lieu par le passé entre les politiques de classe et de genre n’était pas uniquement le résultat d’une crise plus généralisée des mouvements de la Nouvelle Gauche, mais aussi du sexisme présent au sein des organisations socialistes et anticapitalistes. Bien sûr, le rapport entre les mouvements basés sur des revendications de classe et ceux basés sur des revendications de genre a toujours été compliqué.
Il est par contre faux de dire que le mouvement ouvrier a toujours été aveugle face aux questions d’orientation sexuelle et de genre et qu’il a ignoré les besoins des femmes et des LGBTQ au sein de ses organisations. Il est un fait que, historiquement, le mouvement ouvrier a ouvert un espace public et politique au sein duquel les oppressions de genre et d’orientation sexuelle ont enfin pu être discutées, et ont aboutis à des prises de position souvent beaucoup plus avancées que celles du féminisme libéral. Il reste néanmoins vrai que les organisations socialistes et anticapitalistes n’ont pas toujours été fidèles à leurs promesses d’émancipation et ont souvent eu tendance à reproduire en leur sein les dynamiques d’oppression ou à ne pas considérer avec suffisamment d’importance des luttes des femmes et des personnes LGBTQ.
La division entre les politiques de classes et les politiques de genre, n’est cependant une alternative ni viable, ni prometteuse. La façon dont les néolibéraux et même les conservateurs ont coopté la libération sexuelle et de genre doit nous rappeler que ces politiques sur le genre et la sexualité risquent de perdre leur potentiel d’émancipation si elles avancent séparées de l’anticapitalisme. De plus, le divorce entre la classe et le genre a contribué à une fragmentation plus générale de la lutte, qui a aussi favorisé trois décennies de défaites politiques dans bien des pays. Finalement, cette séparation peut contribuer à rendre invisible les conditions d’existence, les besoins et les expériences de vie de la classe ouvrière et des plus précarisés parmi les femmes, les LGBTQ et les personnes de couleur, alors qu’à leur échelle, la séparation des deux concepts n’a pas de sens.
Nous avons besoin d’une politique socialiste, féministe et LGBTQ qui soit forte. Mais pour cela il faudra réaliser quelques pas décisifs.
Tout d’abord, cela implique de reconnaître les contributions des différents courants critiques sur le genre et l’oppression sexuelle, y compris ceux qui n’ont pas une base d’analyse marxiste ou socialiste. Nous devons rejeter le point de vue de certaines organisations socialistes qui considèrent le féminisme comme antagonique avec le marxisme et les politiques socialistes. De la même manière qu’il n’existe pas qu’un seul « marxisme », ou qu’un seul « socialisme », il n’existe pas un seul « féminisme » ; il existe un champ d’analyse et d’intervention politique varié et diversifié, dans lequel il y a beaucoup à apprendre.
Deuxièmement, nous avons besoin d’approfondir notre analyse sur la façon dont les rapports capitalistes produisent et reproduisent constamment les oppressions basées sur le genre et l’orientation sexuelle. Prendre en charge cette question implique de fonctionner avec des organisations réellement démocratiques, au sein desquelles les personnes qui expérimentent différentes sortes d’oppression peuvent s’organiser de manière autonome si elles le désirent. Nous devons savoir que les dynamiques de pouvoir qui créent des hiérarchies basées sur le genre, la race ou l’orientation sexuelle peuvent exister - et existent - dans les organisations d’extrême gauche et qu’elles doivent être affrontées.
Enfin, il faudra aussi une prise de conscience politique sur la centralité des analyses et des oppressions basées sur le genre et l’orientation sexuelle dans notre critique du capitalisme et dans nos luttes sociales et politiques. La question n’est pas tant que la classe soit « prioritaire » sur le genre, mais plutôt que nous ne pouvons penser la classe ouvrière, ni comprendre ses expériences de vie et sa manière de lutter, si nous séparons ces questions d’une réflexion sur le genre et la sexualité. 

Cinzia Arruzza a été membre de la direction de l’organisation anticapitaliste Sinistra Critica en Italie. Elle enseigne aujourd’hui la philosophie à la New School for Social Research à New York et est active dans l’organisation étatsunienne Solidarity. Elle est l’auteure du livre « Dangerous Liaisons : The Marriages and Divorces of Marxism and Feminism » (Merlin Press, 2013).


Source : http://www.internationalviewpoint.org/spip.php?article3045 
Traduction française pour Avanti4.be : Sylvia Nerina - www.avanti4.be