mardi 14 mai 2013

A propos de l’auto-organisation, des espaces sécurisants et du parti révolutionnaire.


Maxi B.

Je voudrais décrire quelques points pratiques sur la façon dont je pense que le socialisme révolutionnaire devrait gérer les choses lorsqu’il est confronté à l’oppression. Quoi qu’il en soit, cela s’étend aussi à une critique politique de certains comportements de « bon sens » dont j’ai fait l’expérience à l’intérieur des organisations de gauche. Ce ne sont que quelques idées, mais j’espère qu’elles permettront d’ouvrir le débat.

Nous vivons dans une société dans laquelle l’oppression se ressent dans tous les aspects de notre existence ; que ce soit dans la façon dont nous sommes traités au travail, dans la rue, dans nos foyers, dans les médias ou de par l’accès aux services publics et aux soins de santé.
Le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie et l’intolérance vis-à-vis des handicaps traversent tout le monde matériel et celui de notre conscience. Il ne faut pas nécessairement être une « mauvaise » personne pour régurgiter ces idées qui nous sont servies dans les médias, par les systèmes d’éducation et la culture populaire. L’hégémonie capitaliste a le pouvoir de permettre à ces idées de prévaloir et de réduire leur opposition au silence.

Ainsi, lorsqu’il s’agit d’organiser un parti révolutionnaire ouvert aux masses, comment créer un parti qui convienne à l’ensemble de la classe des travailleuses(eurs) , et qui puisse comprendre la lutte contre l’oppression sous toutes ses formes ?

L’auto-organisation

Une chose fondamentale que je souhaiterais voir dans les partis révolutionnaires c’est la capacité des groupes opprimés d’organiser des réunions spécifiques qui permettent d’élaborer la théorie et la pratique du parti autour de leur oppression particulière (sexisme, racisme, transphobie, etc.). En pratique, il est clair que si les femmes, les personnes issues de l’immigration, les personnes LGBTQ et les personnes porteuses de handicaps peuvent s’auto-organiser à la fois à l’intérieur, mais à l’abri, des mécanismes du parti, elles auront plus de chances de parler librement. On peut alors parler sans avoir peur que notre expérience soit décrédibilisée, sans craindre de ne pas être compris ou de voir nos idées mises sur le côté. Dans un monde idéal, l’organisation par groupes spécifiques ne devrait normalement pas être quelque chose de nécessaire, mais puisque la réalité est celle de vivre quotidiennement l’expérience de l’oppression et des ségrégations que crée le capitalisme, alors la nécessité de partager d’abord ses idées avant de les injecter dans la masse du parti devient nécessaire, et c’est une chose à laquelle les membres doivent simplement s’habituer.

J’entends d’ici les commentaires du type « c’est du séparatisme » ou « les hommes peuvent aussi combattre le sexisme » ; des commentaires qui ne réussissent pas à voir pourquoi l’auto-organisation est importante. Dire que l’auto-organisation revient à du séparatisme est une faute politique et est injuriant. Si vous présentez l’auto-organisation comme une tentative de détourner la lutte de classe, alors vous essayer de réduire au silence la voix de groupes opprimés. Si vous dites aussi « Si vous ne pouvez pas nous le dire d’une manière qu’on puisse comprendre, alors ne le dites pas du tout », alors vous faite activement reculer la lutte.

Dire que les hommes peuvent aussi combattre le sexisme est sans doute une évidence, mais ce n’est pas une critique adéquate de l’auto-organisation. L’objectif de l’auto-organisation n’est pas de faire évoluer ces groupes à part du parti, mais bien un moyen d’éduquer le reste du parti et de le gagner à des politiques de libération, y compris en rendant visible pour l’ensemble du parti les nouveaux développements et les nouvelles opportunités de la lutte de classe.

Une autre chose que des groupes auto-organisés apporteraient au parti est une contribution théorique supplémentaire au marxisme et à sa capacité à retracer les racines de l'oppression dans la société de classe. Il y a souvent des débats politiques pointus en interne, qui pourraient attirer un public plus large que nos seuls courants politiques - tels que ceux qui sont actuellement en cours au sein du mouvement féministe.

L’auto-organisation peut créer des réseaux à l’intérieur de nos partis qui permettront d’affiner notre politique. Par exemple, mon problème comme militant LGBTQ est souvent de trouver d’autres camarades LGBTQ avec qui discuter des idées ou partager des ressources. Nous devons encourager ces discussions et ces débats à l’intérieur même de la littérature du parti (journal, magazine, bulletins internes,…) – quelque chose dont le groupe autogéré pourrait prendre la responsabilité.

Mon expérience du mouvement LGBTQ (bien que le combat LGBTQ reste à un niveaux très bas en Grande Bretagne) est que, lorsque de nouvelles questions émergent suite à un mouvement de réorientation, les analyses du parti se basent sur des conceptions dépassées et sont souvent inapplicables au climat politique actuel et à ses nouveaux développements. L’auto-organisation pourrait garantir que le parti reste en phase avec le mouvement particulier de libération et ne pas être surpris sans préparation à chaque changement au sein de celui-ci.

Permettre l’auto-organisation ne peut que permettre d’aider à la construction du parti. Il faut vraiment tenir compte du fait que bien des personnes prennent conscience de leur oppression en prenant conscience de leur identité comme femme, personne LGBTQ, personne de couleur ou personne ayant un handicap. Nous savons cela parce que notre travail quotidien est d’élever la conscience de classe ; beaucoup d’entre nous sont là parce que leur conscience socialiste révolutionnaire les a rattrapé alors qu’ils venaient d’autres courants ou mouvements politiques. En donnant à l’auto-organisation l’espace et le temps dont elle a besoin à l’intérieur du parti, nous créons de l’espace pour les gens de la classe ouvrière qui s’identifient à une oppression particulière, ou à une politique d’identité, afin que ceux-ci viennent et entendent des arguments socialistes. C’est une opportunité de leur montrer que l’oppression trouve ses racines dans le système capitaliste et de les gagner à la cause de la lutte de classe.

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Des espaces spécifiques et sûrs

Différents groupes de gauche ont utilisé une politique d’espaces spécifiques et sûrs, de manières fort différentes, certains avec plus de succès que d’autres. Fondamentalement, une politique d’espaces spécifiques et sûrs est un ensemble de règles qui vaut pour tous les membres, qui pose les bases de comportement lorsque nous sommes en réunion, en conférence ou en manif. Cela donne un signal clair du fait que le harcèlement sexuel et la violence à l’égard des camarades femmes ne sera pas tolérée et que les comportements oppressifs ne seront pas tolérés. 

Cela donne aussi un signal clair à ceux qui seraient tentés d’agir de la sorte, et, plus important, un point de contact pour ceux qui subissent ces comportements. Cela montre un ferme engagement à accueillir et protéger les groupes opprimés, et cela nous donne les mécanismes pour gérer immédiatement les plaintes. Enfin, cela montrera le parti pour ce qu’il est ; une tribune pour les opprimés.

La particularité de toute politique de lieux spécifiques et sûrs doit être répétée encore et encore, mais, l’essence de l’idée est que nous devons clarifier ce que nous ne tolèrerons pas dans nos rencontres, congrès, conférences ou front de travailleuses et travailleurs ; nous ne tolèrerons pas que le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie, le rejet des personnes ayant un handicap, se mêlent dans nos pratiques politiques.

Il y a des comportements qui ne doivent même pas passer par le stade de l’avertissement,  comme la violence (ou la menace de violence), la violence sexuelle et le harcèlement sexuel – Je ne crois pas que qui que ce soit ait envie de se retrouver dans un cadre dans lequel il est acceptable de se comporter de cette façon entre camarades.

Prendre le temps de poser ces bases peut apparaître comme du travail supplémentaire, mais elles permettent d’introduire des catégories de personnes qui font partie de la même classe et que les organisations révolutionnaires ratent souvent. C’est une chose que de clamer fièrement une tradition de combat pour la libération des personnes, mais si nous ne réussissons pas à créer des espaces spécifiques et sûrs pour les groupes opprimés, alors nous échouerons dans la mise en pratique de nos idées.

Certains prétendent que les organisations révolutionnaires n’ont pas besoin de ce genre de mécanismes parce que tous les membres sont des socialistes révolutionnaires et sont donc opposés aux oppressions sous toutes leurs formes. Mais c’est ne pas tenir compte de l’analyse propre au matérialisme historique sur la façon dont nos idées se forment dans les conditions matérielles de la société dans laquelle nous vivons, ni prendre en considération que les idées dominantes  à un moment déterminée sont celles de la classe dirigeante. En tant que révolutionnaires, nous espérons affronter et chasser l’ordre social qui crée l’oppression, mais nous ne sommes pas immunisés contre les idées dominantes et les comportements d’oppression. Dire cela reviendrait à clamer une supériorité morale selon laquelle nous serions, d’une certaine façon, protégés contre le capitalisme, son hégémonie persuasive et son aliénation – ce qui serait en contradiction avec l’analyse matérialiste historique du monde.

Certains pourraient aussi répondre qu’une partie assez importante de la classe ouvrière ne se retrouve dans aucun de ces groupes opprimés et subit quand même l’oppression. Je suis bien d’accord, nous sommes tous opprimés puisque tant que la société de classe existera je crois qu’il sera impossible d’éliminer l’oppression. La classe ouvrière sera opprimés jusqu’au renversement révolutionnaire du capitalisme et la construction d’une société socialiste.

Cependant, si nous ne prenons pas la question de la libération des membres de la classe ouvrière au sérieux, en adaptant les fonctionnements du parti afin de relever notre niveau politique, nous risquons de perdre des secteurs de cette classe pour notre combat. Si les socialistes révolutionnaires restent passifs par rapport au combat contre les oppressions spécifiques, nous allons perdre ces personnes au profit du réformisme. Les groupes opprimés doivent pouvoir considérer le parti révolutionnaire comme leur « chez-eux » ; alors faisons le nécessaire pour que ce soit le cas.

Traduction française pour http://sexismesagauche.blogspot.be/

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