vendredi 22 mars 2013

Comment gérer une situation de violences sexuelles à gauche ? Point de vue féministe sur SWP

Comment gérer une situation de violences sexuelles à gauche ?
par Laurie Penny
Nous avons ici un cas d’école. Le Socialist Workers’ Party, pour ceux qui ne le connaissent pas déjà, est une organisation politique de plusieurs milliers de membres qui a été une force de gauche de premier plan dans la gauche britannique depuis plus de trente ans. Il a été le fer de lance de la lutte contre le fascisme dans les rues en Grande Bretagne, il a eu une intervention importante dans les syndicats et le mouvements étudiants au cours des dernières années, et est lié à d’autres partis importants et actifs dans d’autres pays, comme Die Linke en Allemagne. Beaucoup parmi les penseurs ou écrivains britanniques les plus importants en sont, ou en ont été, membres.
Comme beaucoup de personnes de gauche en Grande-Bretagne, j’ai des désaccords avec le SWP, mais je suis aussi intervenue dans leurs conférences, j’ai partagé des verres avec eux et j’ai beaucoup de respect pour le travail qu’ils font. Ce n’est pas un groupe marginal ; ils comptent. Et cela compte que, justement maintenant, le parti est en train d’exploser dans un grand gâchis à cause d’un débat sur le sexisme, la violence sexuelle et des questions plus larges de responsabilité.
Cette semaine, on a appris que, lorsque des accusations d’agressions sexuelles et de viol ont été prononcées à l’encontre d’un membre de longue date du parti, cette affaire n’a pas été dénoncée à la police mais traitée « en interne » avant d’être classée. Selon une retranscription du congrès national du parti qui vient de se tenir, non seulement des amis du présumé violeur ont été autorisés à mener l’enquête mais les présumées victimes ont également été soumises à un harcèlement supplémentaire. On leur a posé des questions sur leurs « habitudes en matière de boisson » et sur leurs anciennes relations et ceux et celles qui les ont soutenues ont été sujets à des expulsions et des exclusions.
Tom Walker - un membre du parti qui a démissionné cette semaine par dégoût - a expliqué que le féminisme "est effectivement utilisé comme une insulte par les partisans de la direction… il est déployé contre quiconque semble « trop intéressé » aux questions de genre."
Dans une déclaration courageuse et principielle rendue publique hier, Walker a déclaré que :
« … Cela pose clairement un point d’interrogation sur la politique sexuelle de nombreux hommes qui occupent des positions de pouvoir à gauche. Je crois que la racine de ceci est que, grâce à leur réputation, ou à cause du manque de démocratie interne, ou à cause des deux à la fois, ce sont souvent des positions qui sont inattaquables. Ce n’est pas sans raison que les récentes accusations d’abus sexuels dans le "monde extérieur" ont mis en évidence la ‘culture de l’impunité’. (le journal) Socialist Worker a mis en évidence la façon dont les institutions se ferment en huis clos pour protéger les personnes qui ont du pouvoir en leur sein. Ce qui n’est pas reconnu, c’est que le SWP est lui-même une institution en ce sens, avec un instinct de protection et de survie. Comme je l’ai déjà mentionné, la croyance du parti dans sa propre importance dans l’histoire mondiale l’amène à légitimer ses tentatives pour couvrir les faits, ce qui amène ceux qui exercent des violences à se sentir protégés. »
Des membres sont en train de quitter l ’organisation, ou d’en être exclus, en grand nombre après que l’affaire ait été mise en lumière lors du congrès du parti et que des retranscriptions des débats aient été mises en ligne.
L’écrivain China Mieville, un membre de longue date du SWP, m’a dit qu’il était, comme beaucoup d’autres membres, "consterné".
« La manière dont des accusations de cette importance ont été traitées – avec en plus la façon dont on a évoqué des problèmes de boissons et d’anciennes relations dans le chef des accusées, qui aurait été immédiatement dénoncée comme sexiste dans n’importe quel autre contexte - était consternante. C’est un terrible problème de démocratie, de fonctionnement et de culture interne que de telles situations puissent se produire, tout comme le fait que ceux qui argumentent contre la ligne officielle d’une manière jugée inacceptable par ceux qui sont au pouvoir puissent être exclus pour « factionnisme secret ».
Mieville a expliqué que dans son parti, comme dans tant d’autres organisations, les hiérarchies de pouvoir qui ont facilité ce genre de problèmes sont sujettes à controverses depuis longtemps.
« Beaucoup d’entre nous se sont battus ouvertement pendant des années pour un changement dans la culture et les structures de l’organisation afin justement de répondre à ce genre de déficit démocratique, au pouvoir disproportionné du comité central et de ses loyalistes, à leur politique de la "poigne de fer" contre toute soi-disant "dissidence" et à leur refus d’admettre leurs erreurs. » m’a-t-il dit. « Comme dans le cas présent, un désastre géré catastrophiquement par la direction. Chacun de nous dans le parti devrait avoir l’humilité d’admettre des cas comme ça. C’est aux membres du SWP de se battre pour le meilleur de notre tradition, et pas de s’aligner sur le pire de celle-ci, et de faire de notre organisation ce qu’elle devrait être et qu’elle n’est malheureusement pas encore ».
Le SWP britannique n’a rien d’atypique parmi les partis politiques, parmi les groupes de la gauche radicale, parmi les groupes de personnes engagées, ou parmi des groupes d’amis et de collègues, en ce qu’il permet que des structures en place qui autorisent misogynie et abus sexuels de la part d’hommes de pouvoir se maintiennent sans que cela ne soit relevé. On peut noter, rien qu’au cours des douze derniers mois, les manipulations de la BBC sur le cas de Jimmy Savile ou ces partisans de Wikileaks qui croient que Julian Assange ne devrait pas être obligé de répondre à des allégations de viol et d’agression sexuelle en Suède.
Je peux, pour ma part, citer au moins deux cas impliquant des hommes « respectables » qui ont fait exploser de manière pénible et définitive des groupes d’amitié parce que ceux-ci ont manqué du courage qu’il aurait fallu pour reconnaître les problèmes. La seule différence est que le SWP débat ouvertement aujourd’hui des règles tacites qui permettent à ce genre d’intimidations de se dérouler habituellement. D’autres groupes ne sont simplement pas assez arrogants pour prétendre que leur bataille morale est simplement plus importante que les insignifiantes questions féministes - même si c’est ce qu’ils pensent en réalité - ou que des personnes aussi bien-pensantes qu’eux et leurs dirigeants sont au dessus des lois. La direction du SWP semble par contre avoir défini cela dans ses statuts.
Dire que la gauche a un problème dans sa façon de traiter les violences sexuelles ne signifie pas que ce n’est pas le cas de tous les autres. Il y a, cependant, un refus obstiné, qui est propre à la gauche et aux progressistes de manière plus générale, de reconnaître et de traiter la culture du viol
Cela a précisément à voir avec l’idée que, parce qu’on est progressiste, parce qu’on lutte pour la justice sociale et l’égalité, parce qu’on est "du bon côté", on est en quelque sorte exempts d’être tenu pour personnellement responsable quand il s’agit de problèmes de race, de relation entre hommes et femmes ou de violence sexuelle.
Cette incapacité à analyser nos propres comportements peut rapidement devenir un dogme. L’image est alors celle de petites bonnes femmes tatillonnes qui essaient de défaire tout le bon travail d’un respectable homme de gauche en insistant de leur petite façon pleurnicharde de femmes sur le fait que des espaces progressistes devraient aussi être des espaces où on ne doit pas craindre d’être violée, ou agressée sexuellement, ou culpabilisées, ou accusées parce qu’on parle ouvertement. Et le sentiment est celui de la rage et du ressentiment : pourquoi notre combat pur et parfait pour la lutte de classe, pour la transparence, pour la liberté contre la censure, devrait-il être pollué par (ici, prononcer la formule en rehaussant le nez avec dégoût) des « politiques identitaires » ? Pourquoi devrions-nous assumer plus nos responsabilités que le commun des mortels ? Pourquoi devrions-nous nous imposer des règles de comportement plus importantes que les autres ?
Eh bien, parce que,si nous le faisons pas, nous n’avons aucun droit à nous présenter comme progressistes. Parce que, si nous ne reconnaissons pas les problèmes de hiérarchie de genre, d’abus et de violence au sein de nos propres institutions, nous n’avons aucun droit à parler de justice, et encore moins à lutter pour elle.
« Les questions de démocratie et de sexisme ne sont pas séparées, mais inextricablement liées » écrit Walker. « Le manque de la première crée l’espace pour que le second grandisse, et rend encore plus difficile de le déraciner ». Il parle du SWP, mais il pourrait aussi bien parler de n’importe quel autre groupe de gauche, dans cette lutte pour se débarrasser d’un bagage de tant de générations de misogynie.
L’égalité n’est pas une option, une question secondaire qu’on traitera une fois que la révolution aura eu lieu. Il ne peut y avoir de démocratie réelle, ni de lutte de classe qui vaille la peine, sans respect des droits des femmes. Plus vite la gauche acceptera cela et commencera à travailler pour démanteler tous les préjugés qui constituent notre histoire collective, plus vite nous pourrons travailler à nos tâches.
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